Quelques jours après avoir pris le départ de la course ultra-distance VIA (±4.000 km / 45.000 D+ / free-routing), j’ai choisi — de manière lucide, assumée et calme — de quitter l’épreuve après un peu plus de 400 kilomètres parcourus.
Ce choix n’a rien à voir avec une défaillance physique, un abandon sous la contrainte, ou un caprice du moment.
Ce fut une décision réfléchie, ancrée dans un profond malaise entre les valeurs affichées par la course… et ce que j’ai réellement observé sur le terrain.
Alors aujourd’hui, avec un peu de recul, j’écris ce texte non pas pour vider un sac, mais pour poser une question de fond :
👉 Que vaut une épreuve d’ultra-distance quand ses règles les plus basiques sont ignorées — et que cette dérive devient silencieusement normale ?
🌍 Pourquoi j’avais choisi la VIA
Bien avant de découvrir l’ultra-cyclisme au sens compétitif en 2020, je roulais déjà loin.
Le goût des longues distances, du bivouac sauvage, des itinéraires improvisés à travers les frontières — tout ça faisait déjà partie de ma vie.

Ce n’était pas une course.
Il n’y avait ni balisage, ni tracker, ni classement.
Lorsque j’ai plongé dans l’univers de l’ultra-cyclisme organisé, j’y ai trouvé un territoire d’expression rare :
l’effort long, la solitude choisie, les paysages grandioses, l’intensité physique, l’autonomie absolue.
Mais aussi — paradoxalement — une vraie communauté.
Des gens qui partagent ce subtil équilibre entre performance, dépassement de soi et respect mutuel.
Pas juste un sport, mais une culture.
Depuis, j’ai roulé sur quatre continents, participé à de nombreuses épreuves, et vécu toutes les nuances de l’ultra :
de l’euphorie pure à la lassitude extrême, du flow total à l’effondrement physique.
L’ultra m’a façonné.
Ce sport apprend l’humilité, la rigueur, la gestion de soi, le silence, la lente transformation de l’effort en sérénité.
Il m’a appris à aller loin, longtemps, pour des raisons bien plus profondes que la performance seule.
Après une belle saison 2024, marquée notamment par une 8ᵉ place au BikingMan Championship, j’avais envie de viser plus long, plus linéaire, plus épique.
TCR ? TransAm ? Silk Road ? Le cœur disait oui, le calendrier disait non.
Et puis est apparue la VIA — glissée dans mon feed Instagram comme par magie.
Le concept était séduisant :
→ 4000 km d’ultra-distance
→ un format “free-routing”
→ traversée de l’Europe du Sud au Nord
→ checkpoints, montagne, liberté, storytelling
J’ai cliqué, payé, programmé.
Mon été 2025 était lancé.
🔧 Une préparation sérieuse et engagée
Pendant six mois, j’ai structuré mon quotidien autour de cette épreuve.
Ce n’était pas juste une course “de plus” : c’était un projet à part entière.
Entraînements réguliers, entre 10 et 18 heures par semaine, parfois très tôt, parfois très tard.
Sorties de nuit pour habituer le corps et le mental.
Tests de matériel en conditions réelles, en montagne, sous la pluie, dans le vent.
Un travail sur la stratégie sommeil, la nutrition, le rythme.
Mais au-delà de l’aspect sportif, il y a eu un vrai investissement mental, logistique, et aussi financier.
Des soirées entières passées à tracer mon itinéraire, comparer les options, lire des cartes, optimiser le moindre détour.
Des weekends consacrés à préparer, tester, affiner.
Et, comme souvent dans l’ultra, cela s’est fait au détriment de temps passé avec mes proches.
Je veux ici remercier mon épouse, et mes amis, pour leur compréhension, leur patience et leur soutien.
Elle a été d’une grande clarté et d’un soutien sans faille, y compris dans les moments de doute.
Sans cette complicité discrète, un projet comme celui-ci ne tient pas la distance.
đź§ Les premiers doutes
J’étais prêt.
Pas pour gagner, ni même pour faire un top 10 — ce n’est pas ce qui m’anime — mais pour vivre une vraie traversée ultra, avec une ambition simple et claire : finir la course en ± 14 jours.
Mais au fil des semaines, quelques signaux faibles ont commencé à me déranger.
La communication était souvent confuse.
Le paiement avait été compliqué.
Le fameux « Compendium » censé poser les bases de la course, était un document difficile à lire, flou, mal structuré.
Des infos essentielles y étaient noyées dans un verbiage pseudo-inspirant. D’autres semblaient contradictoires ou tout simplement absentes.
J’ai laissé passer. “C’est le charme de l’ultra”, me disais-je.
On tolère un peu de chaos, parce qu’on aime ce monde, sa liberté, son côté brut.
Mais à l’intérieur, quelque chose coinçait déjà .
Une petite voix qui disait : “Tu t’engages dans une course où les fondations semblent bancales…”
⚠️ Le point de rupture : SP48
Le jour du départ, j’étais concentré, en forme.
Mon itinéraire — optimisé avec soin — me menait à travers les campagnes du sud de l’Italie.
Mais rapidement, autour du kilomètre 100, je suis tombé sur un os :
→ la route SP48, juste après Lavello.
→ À chaque carrefour, un panneau clair : 🚫 vélo interdit.

Il n’y avait aucune ambiguïté. Ce n’était pas un petit panneau bancal. C’était répété, visible, incontestable.
J’étais avec quelques autres riders. On a tous marqué un arrêt.
Une conversation s’est engagée.
On a pesé le pour et le contre, regardé nos options.
Et on a choisi de respecter la loi.
C’était plus long. Il y avait plus de D+. Mais c’était juste.
Pourquoi ? Parce que le Compendium — que l’organisation nous avait bien rappelé — dit noir sur blanc :
“Traffic laws of countries which you pass through must be obeyed.”
Mais en consultant plus tard le tracker officiel, j’ai constaté que le majorité des leaders du classement avaient emprunté cette route interdite.
La preuve est publique.
Voici une capture d’écran du parcours.

Et pour les plus curieux, voici trois vues Google Street View montrant clairement l’interdiction :
Il ne s’agit pas d’un débat d’interprétation.
Il s’agit d’un fait brut : une route interdite a été empruntée, et cela a donné un avantage en temps et en énergie à ceux qui l’ont utilisée.
💣 Free-routing ≠Free-riding
Je comprends le principe du free-routing. Je l’apprécie même.
Mais ce que j’ai vu là , ce n’est pas de la liberté. C’est du free-riding, au sens le plus laxiste du terme.
Quand, dès les 100 premiers kilomètres, certains riders prennent une voie interdite, et que ce sont les mêmes qui dominent le classement, cela envoie un message clair :
👉 « Prenez les raccourcis, personne ne dira rien. »
Et quand l’organisation ne prend aucune mesure corrective, ne fait aucune déclaration publique, et évite le dialogue avec ceux qui posent des questions légitimes, on ne parle plus de liberté.
On parle de complaisance.
🧱 Le silence, le blocage, le déni
J’ai signalé ce point à l’organisation. J’ai demandé une réaction, calmement.
Aucune réponse.
Puis, sans autre forme d’échange, j’ai été bloqué sur Instagram.
Ce silence est assourdissant.
Il dit tout.
🤔 Pourquoi j’écris ce texte
Pas pour régler des comptes. Pas pour saboter un projet.
Mais parce que je pense que les mots ont un sens.
Et que quand une course se pare des valeurs de “fairness”, “authenticité”, “aventure”, elle doit être à la hauteur.
Sinon, ce n’est pas grave — mais alors il faut l’assumer.
Je ne suis pas naïf. Il y aura toujours des écarts, des erreurs, des ambiguïtés.
Mais il y a une différence entre l’erreur ponctuelle… et la normalisation du non-respect.
🚴‍♂️ Et maintenant ?
Après mon DNF, j’ai simplement poursuivi ma route.
Pas vers une ligne d’arrivée, mais vers ce que je cherche avant tout dans l’ultra : le mouvement, l’effort, le paysage, l’intensité.
J’ai roulé vers le nord, grimpé le Saint-Gothard, traversé des paysages puissants. Et dans cette continuité, le plaisir est revenu.
Le sens aussi.

Je n’arrête pas l’ultra. Bien au contraire.
J’aime la compétition, j’aime les formats exigeants, j’aime les épreuves bien construites qui poussent à donner le meilleur.
Mais désormais, un nouveau critère entre dans mes choix :
👉 le sérieux et la compétence des organisateurs.
Car organiser une course d’ultra, ce n’est pas juste une question de passion ou d’envie.
C’est un métier.
Et quand la sécurité fait partie des enjeux — ce qui est inévitable sur 4000 km — l’amateurisme n’a pas sa place.
Je ne doute pas un instant que Ian, créateur de la Via, soit profondément passionné d’ultra.
Mais être passionné ne suffit pas.
Gérer une course avec équité, rigueur et réactivité, ça s’apprend, ça se structure, ça se professionnalise.
Il est probable que certains participants aient pris beaucoup de plaisir sur cette édition de la Via — et tant mieux pour eux.
Peut-être ont-ils suivi les règles, trouvé du sens, vécu une belle aventure.
Je leur souhaite sincèrement.
Mais moi, ce que j’ai vu, ressenti, traversé, ne m’a pas convaincu.
Et je préfère le dire, plutôt que de taire un malaise profond.
🙏 Merci
Merci à toutes celles et ceux qui m’ont écrit.
Merci aux amis d’ultra qui partagent leurs parcours, leurs doutes, leurs joies.
Merci aux organisateurs exigeants qui tiennent une ligne claire.
Et si ce texte peut servir Ă ouvrir une discussion plus large, alors tant mieux.